1) Ayant beaucoup développé la coopération internationale, pouvez-vous apporter des précisions sur les conséquences économiques d’un refus de Madagascar à adopter une démarche consensuelle ?
"Premièrement, j’adresse mes félicitations à votre journal et à vous même pour votre courage en ces temps troubles de vouloir donner le maximum d’informations justes aux citoyens. Ensuite, je vous remercie pour votre appréciation de mes actions internationales.
C’est vrai que j’ai beaucoup œuvré pour mettre Madagascar à la place qu’elle mérite dans le concert des Nations et en l’espace de sept ans, j’ai parcouru des milliers de kilomètres pour promouvoir l’image du pays et trouver toutes les voies et les moyens de le développer, notamment sur le plan des infrastructures, de l’amélioration de la condition de vie des malgaches. Depuis 2003, Madagascar fait partie des pays à développement humain moyen (IDH>0,5) suite à l’amélioration des indicateurs de Santé et de l’Education de la population (espérance de vie, alphabétisation, scolarisation et revenus par habitant).
S’agissant de la lutte contre la pauvreté, l’appui du PNUD par exemple, a eu des incidences sur l’élaboration de politiques sectorielles (emploi, PME, artisanat, industrie, commerce), la stratégie nationale de micro finance, la mise à jour du Programme national d’appui au secteur privé et du diagnostic du processus d’industrialisation rurale.
En partenariat avec la FAO, le BIT, le FENU et l’ONUDI et avec le secteur privé, plus de 40 000 emplois ont été créés en 2005 et 2006 dans des domaines très variés (soie, fruits et légumes, gemmologie, élevage, mécanique, maçonnerie). À cela, il convient d’ajouter les résultats en matière d’alphabétisation et d’insertion sociale et professionnelle des analphabètes, en collaboration avec l’UNESCO.
Dans le domaine de l’investissement, l’initiative Growing Sustainable Business a permis d’intéresser le secteur privé à la lutte contre la pauvreté, et de fournir un appui à la mise en place du Conseil pour le développement économique de Madagascar destiné à faciliter l’investissement.
Et les exemples que je vous donne là ne sont pas exhaustifs. Maintenant, pour répondre à votre question, je viens d’apprendre que la présence de Madagascar n’est pas souhaitable aux réunions annuelles du FMI et de la Banque mondiale en Turquie et que 1’euro vaut 3000 Ariary.
C’est bien dommage car tous les efforts faits en sept ans pour asseoir cette image de pays respectable et digne de confiance tombent à l’eau. Car il ne faut pas se voiler la face, la non invitation à ce genre de réunion signifie que le pays est rangé dans la catégorie des pays non fréquentables avec des dirigeants indésirables et qualifiés de "persona non grata".
Ensuite être écarté de la réunion du F M I signifie l’arrêt des financements extérieurs, aucun organisme de financement légal et normal au monde n’accorde son financement sans l’aval du FMI. Or le budget de Madagascar est composé à plus de 80 pour cent du financement extérieur.
Concernant les effets néfastes de la crise, laissez-moi en premier lieu reprendre certaines analyses récentes de personnes et d’organismes très qualifiés :
* Mme Krystyna Bednarska, Chef du Programme Alimentaire des Nations Unies (PAM) a expliqué déjà au 20 mars 2009 que les pertes d’emplois du fait de la crise politique risquent de précipiter les pauvres et les classes moyennes basses dans la misère. Quant aux plus démunis, qui sont estimés à plus de 500.000, ils ne peuvent même pas s’offrir les denrées de première nécessité à cause de la crise en cours. Cela est en train de se vérifier, aujourd’hui plus de 400 entreprises ont déjà fermé.
* Rien que dans le secteur tourisme, la baisse de l’activité a entraîné un déficit de l’ordre de 390 millions de dollars américains, et près de 25.000 métiers sont sérieusement menacés, selon le Bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA).
* Enfin, le porte-parole de la société civile, Monsieur Roland Razafindramanitra, a livré ses propres évaluations, le lundi 3 août à la Résidence Ankerana. Se référant aux données chiffrées du ministère de l’Economie du mois de mai 2009, la société civile a répertorié au total 15 000 pertes d’emplois en raison de la crise. Se fondant sur les enquêtes effectuées par les groupements professionnels comme le GEM et le FIVMPAMA, elle établit 3 700 pertes d’emplois directs dans le commerce et le service. 153 entreprises, 55 établissements hôteliers et 51 entreprises en zone franche, relève-t-elle, ont dû avoir recours au chômage technique ; réduisant ainsi 2041 personnes, dont 823 dans le secteur tourisme, au chômage technique.
Selon ce Monsieur, la crise perdure, c’est le KO pour le monde des affaires et le chaos social. Un crime que la société civile ne peut laisser faire. Moi je dis qu’il a raison.
Personnellement, j’estime le nombre de travailleurs qui vont perdre leur emploi entre 150 000 et 200 000 ce qui signifie globalement qu’entre 750 000 et 1 000 000 de personnes vont se retrouver complètement démunies rien qu’à Antananarivo, car rien qu’avec l’AGOA, 70 000 emplois sont, à ce jour, déjà perdus.
Pour synthétiser sur ce point j’aimerais rappeler que lors de l’élaboration du budget 2009, notre prévision de taux de croissance était de 7,5 et maintenant la prévision à la fin du premier semestre 2009 est de 2,2. En matière de balance de paiement en 2008 fin du premier semestre nous avions plus de 66 millions de DTS, maintenant à la même époque nous avons un déficit de moins 177 millions de DTS.
Donc on va, je dirais même, on court vers la catastrophe socio-économique et humaine ".
2) Outre les emplois directs et indirects, pouvez-vous évaluer les conséquences sociales sur les bénéficiaires des programmes tels le PSI ou la lutte contre le SIDA et les MST ?
"C’est très simple, vous savez, quand vous ne travaillez pas, vous ne pouvez pas vous nourrir convenablement et votre corps devient facilement vulnérable. Ensuite comme tout le monde le sait, l’oisiveté est la mère de tous les vices.. La question est maintenant de savoir si les subventions reçues pour ces programmes sont catégorisées dans les aides humanitaires. Je ne pense pas car la lutte contre les fléaux sanitaires tels que le sida, la malaria relève plutôt d’un programme de gouvernement. Par ailleurs, il n’y a pas que le chômage, mais il y a d’autres facteurs générés par cette crise qui vont contribuer à l’augmentation des risques de prolifération de ces terribles maladies, il en est ainsi de la gabegie instaurée par le pouvoir putschiste, de l’indiscipline qui est devenue le mode de vie et de pensée pour beaucoup de gens. Les risques sont tellement incommensurables qu’il est hasardeux de faire une quelconque évaluation fiable qui sera démentie par une aggravation de la situation demain. C’est malheureux, mais je répète encore on court vers une catastrophe socio-économique et humaine".
3) On dit ici que vous êtes victime de vos propres proches collaborateurs qui vous ont induit en erreur. Lequel ou lesquels parmi eux ont été contre vos projets d’amnistie ou de réconciliation ?
" Non, je ne suis pas victime, c’est le peuple malgache qui est victime des agissements malsains de ces gens qui ne pensent qu’à leurs intérêts personnels. Et quitte à renier tout sens de l’éthique, ils sont capables de faire des pactes même avec le diable.
L’amnistie et la réconciliation nationale, je les ai déjà proposées lors d’un discours à Antsiranana. C’était lors de la première législature. Tout est clair non ? "
4) Quand à un moment donné vous accusiez directement la France d’être votre détracteur sinon d’avoir appuyé les putschistes, aviez- vous des preuves ou du moins des indices probants ?
"Il ne faut plus infantiliser le peuple malgache. Il est capable d’analyser les faits qui se passent actuellement dans son pays. Et en outre, il ne faut pas oublier que Madagascar est le pays où il y a la plus forte congrégation française en Afrique subsaharienne avec tout ce que cela suppose et engendre. Et savez-vous pour se détendre un peu que même en anglais on dit coup d’état" ?
5) Quel est le message que vous voulez adresser aux partisans des trois mouvances qui s’opposent à l’initiative unilatérale de Andry Rajoelina ?
"Le principe que nous avions soutenu à Maputo et que nous soutenons encore peut se résumer ainsi : Plus jamais de coup d’Etat à Madagascar, en Afrique et partout dans le monde. Ensuite nous étions, je pense des hommes d’honneur et des patriotes pour avoir signé les accords de Maputo. Tenons nos engagements et vous les partisans de chaque mouvance, aidez nous par tous les moyens à rendre effectifs ces accords. Que Dieu nous bénisse ! Merci beaucoup".
Propos recueillis par Raw, le Courrier.com
21 septembre 2009