La critique virulente du régime du président malgache Marc Ravalomanana par l'écrivain exilé Jean-Luc Raharimana, sur Rue89, a suscité une réaction de Christian Lehmann, rédacteur en chef du site Madagascar Online, qui nous a proposé, avant les événements tragiques de ce samedi, un point de vue différent. Le débat est ouvert.
Cette analyse tente de mieux comprendre la crise actuelle à Madagascar et en particulier le rôle des médias et de l'opinion internationale. Dans la mesure du possible, elle est basée sur des faits concrets.
Ainsi, pour mieux comprendre l'origine de la crise, il faut relire son histoire récente. Madagascar est une jeune démocratie. Le pays a connu l'indépendance en 1962 suite à un accouchement dans la douleur. Les gouvernements qui ont suivi n'ont pas su apporter à la population une vision, une réponse concrète aux attentes de la population. De directoires militaires en démocraties socialistes, le pays est depuis
les années 80 retombé sous la dure loi des redressements économiques imposés par ces bailleurs.
L'espoir Ravalomanana L'arrivée en 2002 d'un outsider a radicalement changé la donne. Marc Ravalomanana n'est pas issu de la caste politique proche de la France. Sans toutefois affronter l'ancienne puissance coloniale, il a tout de suite montré la couleur. Il a rapidement amorcé des rapprochements avec les Etats-Unis, l'Allemagne, le Proche-Orient et l'Asie, le Japon et la Chine en particulier. L'annulation d'une grande partie de la dette extérieure a également allégé un poids qui pesait injustement
sur les Malgaches même si le contrôle du FMI et de la Banque mondiale sur les affaires de l'Etat n'a pas disparu.
Marc Ravalomanana a instauré en 2004 un changement radical de perspective en présentant la "vision de Madagascar" et en publiant l'année suivante un programme de mise en œuvre de cette vision à l'échelle nationale, régionale et communale: le "Madagascar Action Plan" ou MAP. Renforcée encore dans le MAP, la politique de
désenclavement par la construction et réfection des infrastructure routière a été lancée dès 2002.
Chaque année, c'est plusieurs milliers de kilomètres de routes qui ont été réalisés. Dans le domaine de la santé, des centaines de dispensaires ont été ouverts ou réhabilités, des milliers d'écoles parsèment désormais le pays permettant à celui-ci de passer à un taux d'inscription en primaire de 98% après être tombé à moins de 30% avant 2000.
Ancien businessman, déjà milliardaire à son arrivée au pouvoir, Marc Ravalomanana est un apôtre de la libre entreprise. Il a cependant placé au centre de ses préoccupation la reconstruction du système social défaillant.
Sur le plan politique, Madagascar a également fait des avancées importantes avec la mise en place effective des 22 régions de l'île, remplaçant les 6 provinces jugées trop éloignées des réalités de la population. Chaque région s'est vue donnée une autonomie et des objectifs. Des efforts contre la corruption de l'appareil d'Etat ont
été entrepris et salués par des résultats encourageants de "l'index de perception de la corruption".
Sur le plan international finalement, malgré l'apparente incompétence qu'on lui prêtait à son arrivée au pouvoir, Marc Ravalomanana a su renouer avec l'Union Africaine, avec les organismes de coopérations régionaux et a tissé des liens dans le monde entier. On comprend mieux l'importance qu'il attache à son avion présidentiel et au prochain sommet de l'union africaine qui est prévu à Madagascar en juillet.
Mais, est-ce que Marc Ravalomanana a réussi son pari. A-t-il apporté la richesse attendue? Sur ce plan, l'opinion est plus largement divisée. Le prix de l'essence à la pompe est passé de 500 ariary à près de 3000 ariary en 2008 (soit environ 2,25 euros le litre) alors que les salaires n'ont augmenté que faiblement. Les taxes sont
toujours très lourdes pour l'import de matière première ou d'intrants.
La concurrence des matières finies asiatiques est mortelle pour les petites entreprises dans plusieurs domaines. Les zones franches qui fournissent la plupart des emplois en zone urbaines ouvrent et ferment au gré des conjonctures. Bref, la vie est dure. Surtout en ville.
Dans la campagne, c'est autre chose. Bien que les problèmes d'accès aux soins soient encore loin d'être résolus, le visage de la campagne commence à changer. L'implication du Président est là encore essentielle. Et elle ne date pas d'hier. Les entreprises TIKO appartenant au Président avaient déjà construit un tissu économique et social solide là où elles se sont implantées.
Les Malgaches veulent-ils vraiment se séparer de leur président?Alors, pour en revenir au sujet de notre analyse, les Malgaches veulent-ils vraiment se séparer de leur Président? Malgré la difficulté de la vie, malgré le fait que son candidat à la mairie d'Antananarivo ait été désavoué, malgré les nombreux reproches qui lui sont fait dans la presse et dans les discussions de café, je pense
sincèrement que ce n'est pas le cas. Pourquoi?
Les Malgaches voient les actions concrètes du gouvernement: les ponts détruits en 2002 ont été réparés à la vitesse éclair, remplacés par des ponts neufs, de nouveaux ponts ont été construits dans tout le pays, les routes sont réparées, les problèmes trouvent des solutions, etc. Ils continuent donc à voir en leur Président celui qui peut les mener vers une vie meilleure.
Alors qui sont ceux qui veulent prendre le pouvoir?Les critiques acerbes flottent dans les médias (surtout francophone mais j'en reparle plus loin) et sur le Net depuis que Marc Ravalomanana a été élu Président. Ces critiques viennent en très grande majorité de ceux qui ont été directement impactés par l'arrivée de Marc Ravalomanana au pouvoir, c'est à dire l'équipe de l'ancien dirigeant Didier Ratsiraka et ceux qui n'ont pas pu trouver une place
au pouvoir.
On lui a tout reproché: d'être analphabète, de détester la France, de vouloir s'enrichir sur le dos des Malgaches, de vendre son pays, etc. Je n'ai rien à voir avec Marc Ravalomanana que je n'ai rencontré qu'une seule fois lors d'une visite de celui-ci à Genève ou je réside actuellement. Mais, au vu des réalisations, comme tous les Malgaches (ou presque), j'aimerais que l'on apporte des preuves et des faits
concrets plutôt que de véhiculer des rumeurs souvent sans fondement.
La dernière rumeur en date est la fameuse affaire "Daewoo". En quelques jours, le monde entier était informé que Madagascar vendait, louait ou donnait suivant les versions, son pays pour une bouchée de pays à un industriel Sud-Coréen. L'horreur pour les Malgaches. Le gouvernement malgache et la société en question ont rapidement apporté un démenti: bien que des investigations aient été en cours à
Madagascar, aucun accord n'avait été signé et surtout pas pour la surface décrite dans l'article initial.
Dernièrement, le ministre de la Réforme foncière, Marius Ratolojanahary, a souligné que les procédures sont encore en cours. Cet opérateur a fait une prospection faute d'une base de données foncière dont l'établissement est en cours dans le cadre de la réforme foncière...
Tout promoteur de projet notamment Malagasy est incité à se lancer dans l'agri-business, une exploitation agricole à grande échelle, qui est la base de développement du pays. En effet, seuls 8% de terrains arables sont exploités jusqu'ici, a révélé le Premier ministre Charles Rabemananjara, lors de la visite des infrastructures destinées à accueillir le Sommet de l'Union Africaine hier.
Le rôle de la presseComme je l'ai indiqué plus haut, la presse mondiale, et principalement AFP, a relayé en quelques heures l'article du Financial Times. Pourquoi s'intéresse-t-on subitement autant à Madagascar alors qu'on en parle jamais?
Plus tard, après les émeutes du 26 janvier, les titres des articles de la presse francophone reprenaient allègrement ceux des dépêches d'AFP: "Madagascar: émeute anti-régime", "Grave crise sociale à Madagascar", "les émeutes dégénèrent".
La presse alémanique titrait différemment "Antananarivos Bürgermeister fordert den Präsident heraus" alors que la BBC annoncait "Rioters set fire to Madagascar TV", "Madagascar protests turn violent", etc. Ces derniers jours, la presse mondiale présente une seule et unique image de Madagascar: un pays ou règne le chaos en se demandant qui des deux, du maire ou du Président, gouverne le pays.
Et pourtant, à Madagascar l'issue est claire: le maire n'a pas l'appui populaire qu'il prétendait, le Président a demandé à la justice de faire son travail. "He is back to work!"
En conclusion, je me demande pourquoi on ne peut, pour une fois, faire confiance à une jeune démocratie et l'aider à avancer plutôt que de véhiculer des clichés colonialistes. Pourquoi la communauté internationale en général et la presse en particulier n'a pas aussitôt condamné la tentative de prise de pouvoir par la violence?
Le véritable espoir pour Madagascar est d'être capable, dans les prochaines années de se construire une alternance politique valable, possibilité que le jeune maire d'Antananarivo a fortement hypothéqué d'un coup de poker malheureux.
Par christian lehmann | Journaliste | 07/02/2009 | 20H05