Il habite un quartier chic de la capitale malgache, dans une maison patricienne au fronton de laquelle s'alignent des colonnes aux allures de temple grec, protégée par près d'une centaine de gardes postés jusque dans les rues adjacentes. Vivant désormais en reclus, Andry Rajoelina, maire déchu d'Antananarivo, reste à la tête du mouvement de protestation lancé voici trois mois à Madagascar. Un mouvement dont l'ambition, selon cet ex-organisateur de soirées qui a fait fortune dans le secteur de la communication, est de renverser le président en exercice, Marc Ravalomanana.
Celui que ses partisans surnomment "TGV" met la main aux derniers détails de l'épreuve de force prévue pour le lundi 16 février. Il a décidé de lancer ses partisans vers les ministères de la capitale, pour y installer "ses" ministres, laissant planer la menace de violences comparables à celles du 7 février. La garde présidentielle avait alors ouvert le feu sur des manifestants qui, suivant un mot d'ordre lancé par l'ex-maire d'Antananarivo, marchaient vers un palais abritant le bureau de Marc Ravalomanana, tuant au moins trente et une personnes et en blessant plus de deux cents.
"Nous n'avons pas peur, nous avons convenu de faire asseoir la foule à 50 mètres des ministères", assure-t-il, souriant, en nous recevant, bien calé dans son fauteuil. Le 7 février a-t-il fait preuve d'irresponsabilité en lançant des manifestants vers le périmètre interdit de la présidence, tout en se gardant de leur emboîter le pas ? La réponse fuse : "Pensez-vous que nous aurions emmené la foule là-bas si nous avions su qu'un piège avait été tendu, avec des tirs à balles réelles, sans sommations, sur des manifestants qui étaient encore à l'extérieur de la zone rouge interdite du palais présidentiel ?" Pour justifier son absence, il décrète : "Je n'étais pas présent, car il y a des ordres protocolaires dans les mouvements populaires."
Andry Rajoelina choisit de se référer à l'histoire malgache récente pour justifier un mouvement qu'il voudrait "au-dessus des partis". Il rappelle à l'envi l'expérience de l'actuel chef de l'Etat, arrivé au pouvoir au terme d'une épreuve de force de plusieurs mois avec son prédécesseur, l'"Amiral" Didier Ratsiraka, déclenchée par le résultat contesté des élections générales de 2002.
Mais M. Rajoelina refuse de prendre en considération le fait que, cette fois-ci, nul scrutin n'est à l'origine du mouvement dont il a pris la tête. "Quand Marc Ravalomanana a marché sur le palais du premier ministre, quand il a pris les ministères, il n'y a pas eu de morts, pourquoi cela serait différent aujourd'hui ?", se borne à espérer ce jeune homme politique de 34 ans, qui affirme vouloir "simplement être à la tête d'un gouvernement de transition rassemblant des gens du pouvoir et de l'opposition, d'une durée de deux ans, le temps d'organiser des élections anticipées".
Les partisans de l'ex-président Ratsiraka, en exil en France, sont-ils à ses côtés ? Il s'en défend : "Je ne suis pas du tout manipulé, je suis un homme d'ouverture, je parle avec tout le monde. J'ai discuté avec Didier Ratsiraka. Mais il n'y a pas les mains de Ratsiraka dans tout ce que je fais."
Andry Rajoelina n'a peur ni de la langue de bois ni des déclarations enflammées. "On a élu un président de la République pour respecter la Constitution, pas pour la bafouer. Il a acheté un avion à 60 millions de dollars sans appel d'offres, c'est un président qui a tué ses compatriotes. Lors des pillages, il a ordonné aux forces de l'ordre de ne pas intervenir, de la non-assistance à personne en danger. C'est un pilleur, un violeur, un tueur."
Le mandat d'arrêt lancé contre lui ? Il ne s'en soucie guère : "Ce ne serait pas une solution pour le président de la République de me mettre en prison, ça va encore aggraver les choses." Il affirme aussi : "Les gens du pouvoir m'ont proposé de l'argent, 15 milliards de francs malgaches un peu plus d'un million d'euros la semaine dernière pour que je quitte le pays. Je leur ai dit que c'était honteux."
A ce stade, reste-t-il une chance de trouver une solution négociée à la crise ? Andry Rajoelina a fait à ce sujet des déclarations différentes, selon qu'il se trouvait en compagnie d'émissaires internationaux ou devant ses partisans. En cette veille de nouvelle épreuve de force, il tranche : "Les discussions sont terminées, car une de nos conditions est la démission du président, mais il ne veut pas partir." Le maire déchu ajoute qu'il refuse de négocier avec quelqu'un qui a "du sang sur les mains" et dit bénéficier du soutien d'une partie de l'armée qui, selon lui, "ne veut plus exécuter les ordres du président de la République". "L'armée n'a plus confiance, 80 % est avec moi, affirme-t-il, je ne parle pas des généraux, pour eux il y a aussi l'appel de l'argent." Et de s'absoudre de toute volonté de s'emparer du pouvoir pour des raisons personnelles : "Je ne suis pas assoiffé de pouvoir", affirme-t-il encore, toujours souriant.
Sébastien Hervieu | www.lemonde.fr