Des manifestants portent un homme blessé dans les heurts qui ont opposé l'armée aux partisans d'Andry Rajoelina, samedi à Antananarivo. Crédits photo : AFP
Sous le choc des affrontements qui ont fait au moins 28 morts samedi, les habitants craignent que l'Île s'enfonce dans la crise.
Suzanne a les yeux vides. Assise sur les marches de sa petite maison du centre d'Antananarivo, la vieille femme paraît hébétée : «Pourquoi ont-ils fait ça ?» Comme toute la Grande Ile, qui porte fièrement en bandoulière son pacifisme, elle peinait, dimanche, à croire que le bain de sang était bien réel. À réaliser que le bilan de la lutte qui, depuis trois semaines, oppose le président Marc Ravalomanana et le maire élu de la capitale, Andry Rajoelina, s'est brusquement alourdi. Jusqu'à ce week-end, l'édile, qui a prononcé la déchéance de son rival, et le chef d'État ne s'étaient affrontés qu'à distance. Samedi, les forces de l'ordre ont tiré sur la foule des partisans du maire, faisant au moins 28 morts et 272 blessés. Les manifestants tentaient de s'emparer du palais d'Ambohitsorohitra, l'un des sièges de la présidence malgache aujourd'hui largement délaissé lorsque des militaires ont ouvert un feu nourri et sans sommation.
Toute la nuit de samedi, les familles ont afflué vers l'hôpital Joseph-Ravoahangy-
Andrianavalona, en centre-ville, cherchant désespérément à recueillir des nouvelles d'un proche. À l'aube, hagard, Franck Raharisoa, traînait encore dans la salle des urgences aux murs maculés de sang, vérifiant une fois de plus la liste des blessés. Son colocataire, qui ne donne plus signe de vie, n'apparaît sur aucun registre. «Nous étions ensemble devant le palais quand les militaires ont tiré. Depuis plus rien.» Il a aussi fouillé la morgue, où une file de curieux morbides glissent devant les cadavres alignés à même le carrelage. Sans un mot.
Le silence est tombé ici et dans toute sur la ville. Nous sommes dimanche et pourtant la très chrétienne capitale semble comme morte. Les cloches qui partout battent à la volée ne rassurent pas grand-monde. «C'est un cauchemar que les Malgaches ne méritent pas», bredouille Johns Rabahaja en marchant d'un pas rapide dans les ruelles pavées de la vieille ville d'où les forces de l'ordre sont Étonnamment absentes. Tout autour de lui, les rideaux de fer sont baissés. «Nous avons tous peur», avoue Johns. Peur de nouveaux tirs. Mais surtout peur que les hommes politiques enfoncent une fois de plus le petit peuple de Madagascar dans la pauvreté.
Pourparlers secrets
Le souvenir de la dernière crise politique, qui en 2001 avait bloqué l'économie du pays pendant six mois, hante encore les esprits. «Il ne faut pas que cela recommence. Je veux juste pouvoir nourrir mes enfants», assure-t-il. L'homme, comme la plupart de ces voisins, renvoie dos à dos maire et président. «À quoi cela sert de faire des massacres. L'un envoie le peuple. L'autre tire. C'est pareil. Il faut juste prier Dieu de nous aider.» «Tous les Dieux», s'empresse d'ajouter ce «fervent catholique». Car, pour l'heure, les Malgaches veulent rester sourds aux voix qui tentent d'opposer catholiques et protestants, confessions respectives d'Andry Rajoelina et de Marc Ravalomanana.
L'inquiétude pointe pourtant. Haja Ratsimba, pasteur au cœur d'Antanimena, un quartier catholique le reconnaît : «Certains veulent nous diviser, mais pour l'instant nous n'avons pas eu de problème.» L'ihavanana, le compromis traditionnel malgache, serait passé par là, essaie de croire, Irène. Mais le visage décomposé de cette mère de famille laisse apparaître ses doutes.
Entre les deux rivaux, la fracture est maintenant très profonde. Hier, le président et le maire se sont rejeté mutuellement la responsabilité de l'hécatombe. À la télévision, Marc Ravalomanana a accusé l'opposition d'avoir «dépassé les bornes» en demandant «aux forces de l'ordre et à la population de se donner la main pour rétablir le calme».
«Le président a décidé de répondre par des tirs aux demandes de changement de la population», a rétorqué Andry Rajoelina. Tous se disent prêts à aller jusqu'au bout. Mais ni l'un ni l'autre ne propose une issue à une crise qui s'enracine. Dans les deux camps, les partisans des solutions extrêmes semblent avoir pris la main. «Avec ces morts, il est improbable que les Malgaches tolèrent le maintien au pouvoir des deux hommes en même temps, encore longtemps. Il faudra que l'un des deux cède pour déboucher sur une solution», commente, pessimiste, un homme d'affaires français installé depuis vingt ans à Madagascar.
Dans les coulisses, les diplomates s'activent néanmoins à ranimer les pourparlers secrets, laborieusement entamés vendredi dernier. Pour tenter une médiation, l'ONU a dépêché samedi soir, Haile Menkerios, un proche collaborateur du secrétaire général, Ban Ki-moon, à Madagascar.
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Tanguy Berthemet, envoyé spécial à Antananarivo | 09/02/2009
Discours du président Ravalomanana
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[image: vih 09 120430 Tafa mivantana nataon'ny PRM]
Il y a 12 ans
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