jeudi 5 février 2009

Libération: «Rajoelina a utilisé le mécontentement populaire pour un coup d'état verbal»

3 FÉV. 18H08

Philippe Hugon, directeur de recherche à l'IRIS et auteur de «Géopolitique de l'Afrique», revient pour libération.fr sur la crise politique à Madagascar.

La situation actuelle à Madagascar vous surprend-elle?

Non, ce genre d'évènements s'est déjà produit. Le maire d'Antananarivo, Andry Rajoelina, a voulu reproduire ce que Marc Ravalomanana (l'actuel président) avait fait en 2001. La crise actuelle résulte de la conjonction de plusieurs phénomènes: la fermeture d'une chaîne de télévision, l'accentuation de l'affairisme entre secteur public et privé. Il y a aussi le scandale Daewoo (ndlr: le gouvernement veut louer des terres à la firme sud-coréeenne), alors que la terre est sacrée à Madagascar. Enfin, malgré une croissance en hausse, le niveau de pauvreté reste un des plus forts du monde. Rajoelina a su utiliser ce mécontentement populaire pour mener son coup d'Etat verbal.

Rajoelina vient d'être destitué de son poste de maire. Jusqu'où peut-il aller désormais?

Rajoelina ne peut pas devenir président de la République, car la constitution impose d'avoir au moins 40 ans (ndlr: il en a 34). Pour cela, il devrait faire un véritable coup d'Etat. Mais d'autres scenarii sont envisageables. Ravalomanana a concentré de nombreux pouvoirs entre ses mains, et a accentué la présidentialisation du régime malgache. Il peut y avoir un compromis débouchant sur un rééquilibrage, avec Rajoelina prenant le poste de Premier ministre. De toute façon, la réponse de Ravalomanana, destituer un maire élu, est en dehors de toute règle constitutionnelle. Mais la crise peut très bien aller vers un pourrissement. Dans ce cas, l'armée malgache, qui a une forte tradition républicaine, pourrait prendre le pouvoir provisoirement, en attendant que le pays sorte de l'impasse.

On dit que la mobilisation autour de Rajoelina faiblit. Quel est son poids politique sur l'île?

Rajoelina est tout de même assez populaire dans les milieux urbains et auprès du clan de l'ancien président, Didier Ratsiraka. Les manifestations des dernières semaines ont été suivies dans la plupart des grandes villes. Rajoelina a aussi su instrumentaliser un certain sous-prolétariat toujours prêt à faire le coup de main. Mais ce qui est frappant, c'est la ressemblance entre les deux protagonistes, Rajoelina et Ravalomanana. Ils sont tous les deux protestants, ils viennent des hauts plateaux et appartiennent au groupe Merina. Pour beaucoup de Malgaches, ce sont des clones. Ils ont le même visage, ce sont des capitalistes qui croient à l'argent.

Quel peut être le rôle de la communauté internationale?

Par sa situation insulaire, Madagascar est peu soumis à l'influence de ses voisins. L'Union africaine a demandé à ce que la constitution soit respectée, c'est à peu près tout ce qu'elle fera. Le seul jeu possible concerne la France et les Etats-Unis. Ravalomanana est soutenu par Washington. La France a d'ailleurs perdu de son influence sur l'île depuis qu'il est au pouvoir. On se souvient par exemple de l'affaire de l'ambassadeur français renvoyé car il avait le mauvais oeil. Paris ne serait peut-être pas complètement hostile à une inflexion du pouvoir permettant de normaliser les relations entre la France et Madagascar.

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